I mentioned here that the “Avvertimento” (the preface) to the Italian translation of Eliza Haywood’s The Female Spectator (1744–46) quotes from a glowing review of this journal in the “Biblioteca Britannia”—but that I was unable to find the review in question until Google Books made it available. Since it is now available, I thought it would be useful to transcribe the French text here so that I can translate it (see Bibliothèque Britannique, vol.23, pt.2 (July–September 1746): 395–416 (Art 10).
[BTW: I have had to replace all 114 ampersands below with "[et]" since Blogger cannot be persuaded to display this character. Stupid Blogger. I have silently corrected a few typos—mostly t/r errors—but I have left archaic spellings intact, though these trip up Google Translate.]
The Female Spectator. London, printed and published by T. Gardner, at Cowley's Head, opposite St. Clement’s Churcb, in the Strand.
C'est-à-dire,
La Spectatrice: à Londres, chez T. Gardner. [et]c. C'est un in 8vo, dont il paroit tous les Mois une Brochure de 60 à 80 pagg. [et] dont la prémiere parut sur le milieu d'Avril 1744.
L'auteur de cet Ouvrage a beaucoup hazardé de se produire sous un Titre, qui reveille d'abord l’Idée d'un excellent Livre, dont il étoit à craindre que la Comparaison ne fût désavantageuse au sien. Pour |396| soutenir le Caractère de Spectatrice, [et] ne point deshonorer le Spectateur, dont on se dit la Sœur, il faut des Talens peu communs. Sans cela, il est à craindre, qu'un Ecrivain, qui s'est aquis, à si juste Titre, tant de Réputation, ne renie le Parentage, [et] ne fasse passer cette prétendue Sœur pour un Enfant supposé, qui ne fut jamais de sa Famille. La facilité, avec laquelle ces Réflexions se présentent à l'Esprit, ne nous permet pas de douter que la Spectatrice ne les ait faites; [et] qu'elle n'ait senti combien son Entreprise étoit périlleuse. Mais, si cela est, il faut que, remplie d'une noble Confiance, elle ait crû pouvoir soutenir un si grand Nom, [et] faire un Ouvrage, si non égal à celui de son Frere, du moins qui en approche, dans la même proportion qu'il y a entre les Talens [et] la Capacité d'un Homme dont l'Esprit est cultivé par l'Etude, [et] ceux d'une Femme qui n'a pas eu le même Avantage. Si l'on envisage la Spectatrice dans ce point de vûe, nous osons bien assurer, qu'elle ne s'est point trompée dans l'Idée avantageuse qu'elle a conçue d'elle même [et] de ses forces. Son Livre en général est, non seulement digne de la Sœur du Spectateur, mais on y trouve de plus un très grand Nombre de Morceaux, que son Frere feroit Gloire d'avoir composé, [et] qui nè lui feroient pas moins d'Honneur que ce que nous avons déjà de lui. On seroit même tenté de croire, qu'elle est en possession des Papiers du des |397| funt, [et] qu'elle ne fait autre chose que de mettre en œuvre, à sa maniere, les Matériaux que le Spectateuravoit amassé pour la Continuation de son Ouvrage. Ce qu'il y a de sûr c'est que la Sœur puise dans la mê-me Source que le Frère a puisé. Le but de celui-ci a été de corriger l'un [et] l'autre sexe de ses défauts; mais celle là en veut sur tout à ceux du beau-sexe. Pour cet effet, ils mettent tous deux en usage ce que le bon sens, l'Esprit, [et] l'usage du Monde peuvent fournir de bon [et] d'agréable; avec cette différence qu'on remarque plus de savoir dans les Ecrits du Frère, [et] que la, Sœur semble être mieux au fait de toutes les petites Histoires qui forment ce qu'on appelle la Chronique Scandaleuse. Elle les raconte d'une maniere fort agréable, sans nommer les Originaux, [et] les accompagne de Réflexions également judicieuses [et] délicates. Mais, voyons comment la Spectatrice parle elle même de sa personne, de son but, des moyens d'y arriver, [et] des secours qu'elle aura pour y atteindre.
[397–403, quote from “Liv. I. p. 4.”—starting with “Pour preuve de ma sincerité, dit-elle (a) je vous déclare d'abord que je n'ai jamais été belle, [et] que je suis bien éloignée d'être jeune; aveu que peu de Personnes de mon sexe seroient disposées à faire” and ending with “Tous ceux donc qui prétendront faire tomber, sur quelques Personnes en particulier, le blâme des Actions dont il fera fait mention dans ce Livre, ou qui voudront y faire ce qu'on appellé une Clé, doivent s'attendre à être traité, dans la partie suivante, avec toute la sevérité que mérite la Noirceur de leur procédé.” This is Ab.60.1 FS Book 1 (1744), pp.2–7: “As a Proof of my Sincerity, I shall, in the first place, assure him, that for my own Part I never was a Beauty, and am now very far from being young” to “Whoever, therefore, shall pretend to fix on any particular Person the Blame of Actions they may happen to find recorded here, or make what they call a Key to these Lucubrations, must expect to see themselves treated in the next Publication with all the Severity so unfair a Proceeding merits.”]
Malgré cette Menace [et] toutes les autres précautions de la Spectatrice pour empêcher qu'on ne découvre les Originaux qu'elle a en Vûe, il ne faut pas douter que ceux de fes Lecteurs, qui sont un peu au fait de ce qui se passe en Angleterre, [et] surtout à Londres, n'en reconuoissent plusieurs. Au reste, il nous semble qu'elle ne doit point s'en mettre en peine; parce qu'il n'y aura que ceux qui savent déjà les Histoires qu'elle raconte, qui connoîtront les Masques. C'est à eux à avoir la discrétion de ne les point nommer. Quant aux autres, qui voudront déviner, il est probable qu'ils donneront à gauche plus souvent qu'ils ne rencontreront juste. La raison en est toute naturelle. Les Ornemens, qui accompagnent le Récit de la Spectatrice, dépaïseront aisément les Lecteurs , [et] seront Cause qu'on trouvera avec bien de la peine des Personnes à qui conviennent tous les traits, par lesquels elle caractérise les Acteurs qu'elle introduit fur la Scene. Cette difficulté, [et] la crainte de donner à faux, doivént empêcher toute Personne raisonnable de |404| se livrer à des Conjectures, propres à noircir, dans son Esprit, [et] dans celui de ceux à qui elle les communiquera, la réputation de son prochain.
Pour achever l'exposition, que nous nous sommes proposé de faire, du plan [et] du but de la Spectatrice, il ne sera pas inutile de rapporter ici la maniére dont elle s'explique sur l'Article des Nouvelles que ses Espions devoient lui envoyer des païs étràngers. Ce qui lui donna lieu de le faire, ce fut une Lettre qu'elle reçut plusieurs Mois après que son Ouvrage eut commencé à paroitre (a). L'Auteur se plaint de ce que, malgré ses promesses, elle n'avoit encore régalé le Public d'aucune Nouvelle Politique.
[404–5, quote from “Liv. VIII. p. 118.”—starting “Châcun s'imaginoit, lui dit il que vous avies la Clé du Cabinet des Princes, [et] un fil pour vous guider dans le plus épais du Labyrinthe des Mystéres d'Etat; [et] que vous pénétriés sans peine dans tous les secrets ressorts de l'Ambition, de l'Avarice , [et] de la Vangeance, qui font de si terribles ravages.” ending “De grandes flottes couvrent l'Ocean, [et] aucun des Vents, qui font enfler tant de voiles, n'a apporté à la Spectatrice la Nouvelle du but de ces prodigieux Arméniens, ni des grands Exjploits que ceux qui les commandent ont faits, ou sont sur le point de faire.” This is: Ab.60 FS, Book 8 (1744), pp.119–20; starting “Every body imagin'd you had a Key to unlock the Cabinet of Princes,—a Clue to guide you through the most intricate Labyrinths of State,—and that the secret Springs of Ambition, Avarice and Revenge, which make such dreadful havock.” ending “Huge Fleets cover the Ocean with their spreading Sails, but not all the Wind that fills them wafts to the Female Spectator any Account to what intent equipped, where directed, or what great Feats they yet have done, or are about to do.”]
La Spectatrice répond à l'Auteur de cette Lettre, qu'elle n'a jamais eu dessein de parler dans son Ouvrage des Nouvelles, dont il lui reproche de n'avoir fait aucune Mention. Ces Choses ne sont point du ressort d'une femme, [et] ne font rien à son but. D'ailleurs, les ressorts qui produisent tous ces grands mouvemens ne sont |406| autre Chose que les Passions des Hommes. En raisonnant fur elles on remonte à la source de tous les désordres qui arrivent dans le monde. II n'est pas si aisé de décider quelle passion dans un Ministre a produit tel désordre particulier. Souvent ce n'est qu'une bagatelle, qui ressèmble assez à ce jeu des Enfans, qui consiste à faire des Noeuds que leurs Camarades doivent ensuite dénouer. Enfin, quand il seroit facile de pénétrer dans les Mystères d'Etat, il ferait imprudent [et], peut-être, peu fur, de le faire. “II y a an ancien Proverbe qui dit, que tout ce qui est licite n'est pas expédient; auquel l'on peut ajouter celui-ci, qu'il y a plusieurs Chefes nécessaires qui ne sent pas licites. Le principal but qu'on se propose dans cet Ouvrage, c'est de s'opposer au prodigieux accroifiement du luxe; [et] de travailler à la réforme des mœurs d'un siécle, de l’aveu de tout le monde, abâtardi [et] corrompu.”
La prémiere Partie roule en général fur l’Amour [et] le Mariage; [et] fur la Contrainte dans laquelle des Peres [et] des Meres tiennent leurs filles, tandis que d'autres leur accordent une trop grande Liberté. Nous allons en donner un Extrait assez éxact pouvoir juger de la Nature du travail de a Spectatrice.
De toutes les passions que l’Homme a reçu de son Créateur la plus noble, dit un Poëte, la plus douce, [et] la plus agréable, c'est l'Amour. Cela est exactement vrai quand elle est dirigée |407| par la Raison; mais alors ce n'est plus cette passion telle qu'elle est décrite dans les Romans [et] les Comédies. On représente l'Amour, dans ces Ouvrages, comme le Dieu de plaisirs [et] de la joye; mais, en même tems, on lui donne toute la fureur de Mars, on lui fait fouler aux Pieds tous les devoirs de l'Amitié [et] de l'Affection naturelle; [et] c'est un motif qui sanctifie les plus grands Crimes. La Lecture de ces Livres gate l'Esprit des jeunes gens, qui s'imaginent que l'Amour est réellement tel qu'on l'y trouve dépeint. Ils forment le leur fur ce modèle: faut il être surpris, après cela, de leur voir faire tant d'extravagances? On voie souvent des filles, trop jeunes encore pour qu'on leur parle d'Ámour, ou même pour éprouver cette passion, affecter cette Langueur, ces roulemens d'Yeux, ces soupirs, [et] cent autres folies qu'elles ont lûes; [et] ne s'appliquer uniquement qu'à tâcher de faire croire qu'elles sentent toutes les peines [et] les délicatesses de l'Amour. Dans de tels sentimens, elles sont disposées à se jetter, au mépris de l'Autorité Paternelle [et] de la Raison, à la tête du prémier Fat qui s'addressera à elles. Et comme l'Amour qu'une fille conçoit dans cette circonstance est purement imaginaire, elle s'apperçoit bientôt qu'elle n'aime pas la personne dont elle croioit être charmée, [et] fait un antre Choix. C'est là, la véritable Cause de l'Inconstance dont on accuse à tort les femmes; |408| Car, quand une fois elles aiment bien, rarement elles changent. Il n'y a qu'une suite continuelle de mepris [et] de mauvais traitemens de là part de l'Objet de leur tendresse qui puisse le leur rendre moins cher. La Spectatrice conseille donc à toute fille qui veut se marier, de bien éxaminer son Cœur, pour savoir si elle a une véritable tendresse pour son Amant. Et comme elle ne nait pas tout d'un coup, il ne faut pas se marier avant de se connoitre reciproquement, ni avant qu'on soit en état d'examiner son Cœur.
Toutes ces Réflexions sont justifiées par l'Exemple de Martesia, qui, à l'âge de quatorze Ans, écouta, contre la Volonté de son Pere, le prémier Homme qui s'addressa à elle, [et] se fit enlever. L'Amour, qu'elle prétendoit avoir pour lui, étoit purement chimérique; aussi ne dura t-il pas longtems. Elle n'eut pas plus-tôt vû le jeune Clitandre, qu'il lui parut plus aimable que son Mari. Dès lors, il n'eut pas de peine à s'en faire écouter; [et] elle oublia bien tôt avec lui tous les Principes d'honneur [et] de vertu qu'on lui avoit inspirés dès son enfance. Le degout, qu'elle marquoit pour la Maison de son Epoux [et] pour sa personne, étoit trop marqué pour ne pas l'appercevoir. Il lui en fit de tendres reproches, auxquels elle répondit de manière à lui saire soupçonner la cause de son indifférence. Quand il fut convaincu que ses soupçons n'étoient pas mal-fondés, il mit tout en |409| usage pour regagner l'Amitié de sa Femme; mais tous ses soins furent inutiles. Alors il résolut de vivre séparément avec elle, sans cependant faire d'éclat. Il s'étoit déjà écoulé quelque tems depuis qu'ils vivoient de cette maniere, lorsqu'elle devint grosse. Le soin de sa réputation lui fit chercher les moyens de la mettre à couvert; à quoi elle ne pût réüssir qu'imparfaitement. On se disoit son Aventure à l'oreille; ce qui, joint au Chagrin qu'elle eut de se voir abandonnée par Clitandre, lui fit prendre la résolution de quitter l’Angleterre pour toujours.
Ce n'est pas toujours la faute des filles, si elles font de mauvais Mariages. La trop grande Contrainte, dans laquelle leurs Parens les tiennent, leur fait saisir la prémière occasion de sécouër un joug qui leur est à charge. La Chaleur du Climat n'est pas toujours la Cause qu'en Espagne, en Italie, [et] en Turquie, les Femmes acceptent d'abord les prémières propositions d'un homme; mais la prison où on les tient fait que, quand elles jouissent d'un moment de Liberté, elles craignent de refuser une Chose que bies tôt après il ne sera plus en leur pouvour d'accorder. En effet, une fille récluse n'est point accoutumée aux tendres discours que les Hommes tiennent d'ordinaire aux Femmes. S'il lui arrive donc de s'entendre dire quelque chose d'obligeant, elle prend d'abord au Pied de la Lettre ce qui n'étoit qu'une Politesse; [et] s'expose, ou |410| à perdre son Honneur, ou à se rendre ridicule. C'est pour cette raison que, de toutes les Filles, les plus aisées à seduire sont celles qui ont été élevées à la Campagne, où elles n'ont vû d'autre Homme que leur Pere ou leur Curé. Cette contrainte où-on les retient fait qu'elles se jettent assèz soudent entre les bras d'un Laquais ou de quelque jeune Païsan.
Seomanthe, pour son Malheur, fut élevée par une Vieille Tante, qui ne lui permit de prendre aucun des innocens plaisirs de la jeunesse. Elle ne voyoit, pour toute Compagnie, que quelques Vieilles prudes, Amies de la Tante, qui déclamoient sans cesse contre les Amusemens des gens du Monde. Leurs Discours ne la persuadoient point; [et] elle ne voyoit jamais passer de jeunes gens de l'un [et] de l'autre sexe, un peu bien mis, qu'elle ne souhaitât d'être avec eux. Elle languissoit sur tout de faire Connoissance avec ceux d'entre les Hommes, dont la Figure [et] l’Ajustement lui piaisoient. Ses desirs furent enfin accomplis. Un de ces Hommes, qui n'ont pour tout bien que ce qu'ils ont sur leur Corps, [et] dont l'unique ressource est d'attraper quelque riche Heritiere, entreprit de se rendre Maitre de la personne [et] du bien de Seomanthe. Pour cet effet, il mit en jeu une de ces Entremetteuses, qui, sous prétexte de vendre de belles Nipes, vont de Maison en Maison, pour corrompre la vertu des Femmes [et] des Filles. Cette Créature rendit |411| une Lettre de cet Avanturier à Seomanthe, qui eut la foiblesse d’y faire réponse. Dimanche suivant, il se trouva près d'elle à l'Eglise, où sa Personne, [et] une nouvelle Lettre acheverent de la charmer. Il lui demandoit une entrevue chés la femme qui lui avoit rendu la prémière Lettre, ou ailleurs [et] elle jugeoit à propos; ou, tout au moins, une Réponse, qu'il attendroit le Lendemain matin sous ses Fenêtres. Ne pouvant pas lui accorder la prémière de ses demandes, il fallut se rabattre sur la derniere; [et] ce commerce ayant duré quelque-tems, par le Ministére de l'Entremetteuse, Seomanthese laissa persuader de sortir une Nuit de la Maison de sa Tante, pour se retirer chés le Gallant. Il n'en fut pas plutôt le Maitre, qu'il chercha à se mettre aussi en possession de son Bien. Un petit nombre de jours lui suffirent pour cela; au bout desquels il quitta l’Angleterre, laissant sa Femme dans le désespoir [et] la Misère. Sa Tante ne voulant pas la recevoir, elle fut obligé de se retirer chés des Parens dans la Dépendance desquels elle vit aujourd'hui.
Si la Contrainte, dans laquelle on retient les jeunes filles, est dangereuse, il ne l'est pas moins de leur accorder trop de Liberté. La mode s'est introduite de les laisser aller aux Mascarades en hyver, [et] aux Ridotis en été; ou elles sont exposées à se trouver avec toutes sortes de gens, [et] à entendre des Discours qui blessent souvent |412| la pudeur. Une telle Compagnie est bien propre à corrompre les mœurs d'une jeune personne, qui, n'ayant pas encore assés de jugement pour se conduire par les Principes de la Raison, se contente de suivre l'exemple des autres. Mais ils sont souvent dangereux dans ces endroits publics, ou la plus infame prostituée, dès qu'elle a un billet, peut entrer aussi bien, que la femme la plus vertueuse. Les Hommes, qui ont un peu de Connoissance du monde [et] de ce qui se passe dans de telles Assemblées, n'aiment pas que leurs femmes les frequentent.
La Spectatrice rapporte ici la maniere ingénieuse dont un Mari s'y prit pour dégouter sa femme des Mascarades. Elle étoit vertueuse [et] ne vouloit jamais y aller sans lui; mais elle pouvoit cesser de l'être, [et] l'Habitude, qu'elle prenoir de n'en manquer aucune, lui causoit de la dépense. Il ne vouloit paroitre ni jaloux ni Avare, [et] lui inspirer cependant du dégout pour ces Assemblées. Dans ce dessein, il pria un de ses Amis de faire un Habit de Masque parfaitement semblable à celui qu'il devoit mettre. Pendant qu'il dansoit avec sa femme, l'Ami prit adroitement sa place; [et], quand il fut tems de se retirer, elle suivit la Personne qu'elle prenoit pour son Mari: elle monta avec lui dans un Carosse, qui les conduisit à un Cabaret, où elle fut fort surprise de se trouver avec un Etranger, qui lui tenoit des Discours auxquels elle |413| n'étoit point accoutumée. Elle appelloit du monde, lorsque son Mari survint, qui lui représenta les mauvaises Conséquences qu'auroit eu cette Avanture, si elle lui étoit arrivée avec une autre Personne que celle de son Ami. Il ajouta, qu'il avoit remarqué tout ce petit Manege, [et] qu'il les avoit suivi, dans le Dessein de tirer Vangeance de l'Affront, qu'on lui faisoit; mais que, puisque son Ami ne l'avoit point connue, [et] qu'à son Attachement pour lui, il l'avoit prise pour tout autre que ce qu'elle étoit, il n'avoit aucun lieu de se plaindre de lui. Cet Artifice produisit son effet: [et] la femme, qui a ignoré que c'étoit un jeu, a renoncé pour toujours aux Mascarades.
Il ne faut pas s'imaginer, que la ressemblance des Habits n'ait réellement jamais rien occasionné de semblable dans ces Assemblées. La Spectatrice en rapporte deux Exemples bien funestes. L'un d'une Dame, qui, ayant reconnu son Mari dans une Mascarade, le crut amoureux d'une femme avec qui il s'entretenoit. La Jalousie, qu'elle en conçut, la fit résoudre à ne point le perdre de vue, [et] à le suivre quand il sortiroit. Malheureusement pour elle, il se trouva un Masque habillé de même: le prenant pour son Mari, elle le suivit dans la Maison où il entra. Quand elle eut reconnu son erreur, elle voulut se retirer; mais, les manieres engageantes de cet Homme, l'envie de lui demander des Nouvelles de son Mari, [et] sa Jalousie, la firent |414| rester; [et] l'Amour de la Vengeance la perdit. Son Mari fut instruit de toût dès le Lendemain. Le Ton, sur lequel il lui en parla, la fit rétirer chés ses Parens; qui, dès lors, se brouillérent pour toujours avec lui. Il fallut ensuite se battre contre le Gallant de sa femme; [et] tous deux furent dangereusement blessés. Enfin, après être guéri de ses blessures, le Gallant alla en France, où sa Maitresse le suivit bien-tôt après.
L'autre Exemple est celui d'un Frere [et] d'une Sœur, qui se trouvoient dans cette Assemblée pour la premiere fois. Celle-ci, prenant une autre Personne pour son frere, le pria de vouloir la teminener au Logis. Sans lui répondre, il s'avance avec elle du côté de la porte, la fait monter en Carosse, [et] la conduit chés lui; ou, après en avoir criminellement abusé, il la renvoye, en prenant des précautions pour que sa Maison ne fut point reconnue. Cette jeune Demoiselle, qui devoit se marier avec un Gentil-homme de sa Province, conçut tant de honte du malheur qui lui étoit arrivé, qu'elle ne voulut plus le voir, [et] est allée passer ses jours dans la retraite.
Vaux-Hall n'est pas tout à fait si dangereux que lé Bal masqué; mais, il ne laisse pas de l'être beaucoup. La Musique, les délicieux Bosquets, les Endroits écartés, [et] la facilité qu'un Amant a d'entretenir sa Maitresse, sont de dangereux ennemis de l’Honneur. Un certain Homme, dont la Connoissance n'est pas fort honorable |415| pour les jeunes Dames, s'est vanté plusieurs fois, que; Vaux-Hallétoit le Temple de Flora, dont, depuis long-tems, il avoit été établi Grand-Prêtre. Il est assez à craindre, que la Chose ne soit que trop vraye.
L'on trouve, à la suite de ces Réflexions, une petite Historiette, dans la quelle ce Prétendu Grand-Prétre joue un assez vilain Rolle. Il avoit cherché à séduire une jeune Fille, pour la faire servir aux plaisirs d'un Seigneur. Déjà la Mere étoit gagnée, [et] elle promettoit de rendre bon compte de sa fille: déjà il en avoit fait fête à ce Seigneur, au nom du quel il agissoit, lorsque la jeune Fille, préférant son honneur à tout autre chose, quitta la Maison de sa Mere, [et] se retira chez un Curé pour en être protégée. Celui-ci, ne voyant guéres de jour à pouvoir la garder chez lui contre la Volonté de sa Mere, lui proposa de l'épouser; ce qu'elle accepta avec joye.
Telle est, en gros, la Nature de l'Ouvrage que nous annonçons. Il n'est pas aisé d'en donner une Idée bien juste dans un Extrait. Il faudroit pouvoir en représenter la beauté du stile, la vivacité des pensées, la justesse des raisonnemens, [et] la finesse des réfléxions: mais, pour cela, il seroit nécessaire de s'arréter presque sur tout; [et] ce ne seroit plus un Extrait, mais une Traduction. Il faut espérer, que quelqu'un en donnera bien-tôt une, qui mettra le Public en état de juger du mérite de |416| la Spectatrice*. Son Ouvrage semble devenir de jour en jour plus parfaits [et] l'on s'apperçoit, que, bien loin de tomber , comme la plûpart des Ecrivains périodiques, les dernieres parties ont quelque supériorité sur les précédentes.
*Cet Ouvrage s’imprime à la Haye, chez P. De Hondt.
[BTW: I have had to replace all 114 ampersands below with "[et]" since Blogger cannot be persuaded to display this character. Stupid Blogger. I have silently corrected a few typos—mostly t/r errors—but I have left archaic spellings intact, though these trip up Google Translate.]
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ARTICLE X.
The Female Spectator. London, printed and published by T. Gardner, at Cowley's Head, opposite St. Clement’s Churcb, in the Strand.
C'est-à-dire,
La Spectatrice: à Londres, chez T. Gardner. [et]c. C'est un in 8vo, dont il paroit tous les Mois une Brochure de 60 à 80 pagg. [et] dont la prémiere parut sur le milieu d'Avril 1744.
L'auteur de cet Ouvrage a beaucoup hazardé de se produire sous un Titre, qui reveille d'abord l’Idée d'un excellent Livre, dont il étoit à craindre que la Comparaison ne fût désavantageuse au sien. Pour |396| soutenir le Caractère de Spectatrice, [et] ne point deshonorer le Spectateur, dont on se dit la Sœur, il faut des Talens peu communs. Sans cela, il est à craindre, qu'un Ecrivain, qui s'est aquis, à si juste Titre, tant de Réputation, ne renie le Parentage, [et] ne fasse passer cette prétendue Sœur pour un Enfant supposé, qui ne fut jamais de sa Famille. La facilité, avec laquelle ces Réflexions se présentent à l'Esprit, ne nous permet pas de douter que la Spectatrice ne les ait faites; [et] qu'elle n'ait senti combien son Entreprise étoit périlleuse. Mais, si cela est, il faut que, remplie d'une noble Confiance, elle ait crû pouvoir soutenir un si grand Nom, [et] faire un Ouvrage, si non égal à celui de son Frere, du moins qui en approche, dans la même proportion qu'il y a entre les Talens [et] la Capacité d'un Homme dont l'Esprit est cultivé par l'Etude, [et] ceux d'une Femme qui n'a pas eu le même Avantage. Si l'on envisage la Spectatrice dans ce point de vûe, nous osons bien assurer, qu'elle ne s'est point trompée dans l'Idée avantageuse qu'elle a conçue d'elle même [et] de ses forces. Son Livre en général est, non seulement digne de la Sœur du Spectateur, mais on y trouve de plus un très grand Nombre de Morceaux, que son Frere feroit Gloire d'avoir composé, [et] qui nè lui feroient pas moins d'Honneur que ce que nous avons déjà de lui. On seroit même tenté de croire, qu'elle est en possession des Papiers du des |397| funt, [et] qu'elle ne fait autre chose que de mettre en œuvre, à sa maniere, les Matériaux que le Spectateuravoit amassé pour la Continuation de son Ouvrage. Ce qu'il y a de sûr c'est que la Sœur puise dans la mê-me Source que le Frère a puisé. Le but de celui-ci a été de corriger l'un [et] l'autre sexe de ses défauts; mais celle là en veut sur tout à ceux du beau-sexe. Pour cet effet, ils mettent tous deux en usage ce que le bon sens, l'Esprit, [et] l'usage du Monde peuvent fournir de bon [et] d'agréable; avec cette différence qu'on remarque plus de savoir dans les Ecrits du Frère, [et] que la, Sœur semble être mieux au fait de toutes les petites Histoires qui forment ce qu'on appelle la Chronique Scandaleuse. Elle les raconte d'une maniere fort agréable, sans nommer les Originaux, [et] les accompagne de Réflexions également judicieuses [et] délicates. Mais, voyons comment la Spectatrice parle elle même de sa personne, de son but, des moyens d'y arriver, [et] des secours qu'elle aura pour y atteindre.
[397–403, quote from “Liv. I. p. 4.”—starting with “Pour preuve de ma sincerité, dit-elle (a) je vous déclare d'abord que je n'ai jamais été belle, [et] que je suis bien éloignée d'être jeune; aveu que peu de Personnes de mon sexe seroient disposées à faire” and ending with “Tous ceux donc qui prétendront faire tomber, sur quelques Personnes en particulier, le blâme des Actions dont il fera fait mention dans ce Livre, ou qui voudront y faire ce qu'on appellé une Clé, doivent s'attendre à être traité, dans la partie suivante, avec toute la sevérité que mérite la Noirceur de leur procédé.” This is Ab.60.1 FS Book 1 (1744), pp.2–7: “As a Proof of my Sincerity, I shall, in the first place, assure him, that for my own Part I never was a Beauty, and am now very far from being young” to “Whoever, therefore, shall pretend to fix on any particular Person the Blame of Actions they may happen to find recorded here, or make what they call a Key to these Lucubrations, must expect to see themselves treated in the next Publication with all the Severity so unfair a Proceeding merits.”]
Malgré cette Menace [et] toutes les autres précautions de la Spectatrice pour empêcher qu'on ne découvre les Originaux qu'elle a en Vûe, il ne faut pas douter que ceux de fes Lecteurs, qui sont un peu au fait de ce qui se passe en Angleterre, [et] surtout à Londres, n'en reconuoissent plusieurs. Au reste, il nous semble qu'elle ne doit point s'en mettre en peine; parce qu'il n'y aura que ceux qui savent déjà les Histoires qu'elle raconte, qui connoîtront les Masques. C'est à eux à avoir la discrétion de ne les point nommer. Quant aux autres, qui voudront déviner, il est probable qu'ils donneront à gauche plus souvent qu'ils ne rencontreront juste. La raison en est toute naturelle. Les Ornemens, qui accompagnent le Récit de la Spectatrice, dépaïseront aisément les Lecteurs , [et] seront Cause qu'on trouvera avec bien de la peine des Personnes à qui conviennent tous les traits, par lesquels elle caractérise les Acteurs qu'elle introduit fur la Scene. Cette difficulté, [et] la crainte de donner à faux, doivént empêcher toute Personne raisonnable de |404| se livrer à des Conjectures, propres à noircir, dans son Esprit, [et] dans celui de ceux à qui elle les communiquera, la réputation de son prochain.
Pour achever l'exposition, que nous nous sommes proposé de faire, du plan [et] du but de la Spectatrice, il ne sera pas inutile de rapporter ici la maniére dont elle s'explique sur l'Article des Nouvelles que ses Espions devoient lui envoyer des païs étràngers. Ce qui lui donna lieu de le faire, ce fut une Lettre qu'elle reçut plusieurs Mois après que son Ouvrage eut commencé à paroitre (a). L'Auteur se plaint de ce que, malgré ses promesses, elle n'avoit encore régalé le Public d'aucune Nouvelle Politique.
[404–5, quote from “Liv. VIII. p. 118.”—starting “Châcun s'imaginoit, lui dit il que vous avies la Clé du Cabinet des Princes, [et] un fil pour vous guider dans le plus épais du Labyrinthe des Mystéres d'Etat; [et] que vous pénétriés sans peine dans tous les secrets ressorts de l'Ambition, de l'Avarice , [et] de la Vangeance, qui font de si terribles ravages.” ending “De grandes flottes couvrent l'Ocean, [et] aucun des Vents, qui font enfler tant de voiles, n'a apporté à la Spectatrice la Nouvelle du but de ces prodigieux Arméniens, ni des grands Exjploits que ceux qui les commandent ont faits, ou sont sur le point de faire.” This is: Ab.60 FS, Book 8 (1744), pp.119–20; starting “Every body imagin'd you had a Key to unlock the Cabinet of Princes,—a Clue to guide you through the most intricate Labyrinths of State,—and that the secret Springs of Ambition, Avarice and Revenge, which make such dreadful havock.” ending “Huge Fleets cover the Ocean with their spreading Sails, but not all the Wind that fills them wafts to the Female Spectator any Account to what intent equipped, where directed, or what great Feats they yet have done, or are about to do.”]
La Spectatrice répond à l'Auteur de cette Lettre, qu'elle n'a jamais eu dessein de parler dans son Ouvrage des Nouvelles, dont il lui reproche de n'avoir fait aucune Mention. Ces Choses ne sont point du ressort d'une femme, [et] ne font rien à son but. D'ailleurs, les ressorts qui produisent tous ces grands mouvemens ne sont |406| autre Chose que les Passions des Hommes. En raisonnant fur elles on remonte à la source de tous les désordres qui arrivent dans le monde. II n'est pas si aisé de décider quelle passion dans un Ministre a produit tel désordre particulier. Souvent ce n'est qu'une bagatelle, qui ressèmble assez à ce jeu des Enfans, qui consiste à faire des Noeuds que leurs Camarades doivent ensuite dénouer. Enfin, quand il seroit facile de pénétrer dans les Mystères d'Etat, il ferait imprudent [et], peut-être, peu fur, de le faire. “II y a an ancien Proverbe qui dit, que tout ce qui est licite n'est pas expédient; auquel l'on peut ajouter celui-ci, qu'il y a plusieurs Chefes nécessaires qui ne sent pas licites. Le principal but qu'on se propose dans cet Ouvrage, c'est de s'opposer au prodigieux accroifiement du luxe; [et] de travailler à la réforme des mœurs d'un siécle, de l’aveu de tout le monde, abâtardi [et] corrompu.”
La prémiere Partie roule en général fur l’Amour [et] le Mariage; [et] fur la Contrainte dans laquelle des Peres [et] des Meres tiennent leurs filles, tandis que d'autres leur accordent une trop grande Liberté. Nous allons en donner un Extrait assez éxact pouvoir juger de la Nature du travail de a Spectatrice.
De toutes les passions que l’Homme a reçu de son Créateur la plus noble, dit un Poëte, la plus douce, [et] la plus agréable, c'est l'Amour. Cela est exactement vrai quand elle est dirigée |407| par la Raison; mais alors ce n'est plus cette passion telle qu'elle est décrite dans les Romans [et] les Comédies. On représente l'Amour, dans ces Ouvrages, comme le Dieu de plaisirs [et] de la joye; mais, en même tems, on lui donne toute la fureur de Mars, on lui fait fouler aux Pieds tous les devoirs de l'Amitié [et] de l'Affection naturelle; [et] c'est un motif qui sanctifie les plus grands Crimes. La Lecture de ces Livres gate l'Esprit des jeunes gens, qui s'imaginent que l'Amour est réellement tel qu'on l'y trouve dépeint. Ils forment le leur fur ce modèle: faut il être surpris, après cela, de leur voir faire tant d'extravagances? On voie souvent des filles, trop jeunes encore pour qu'on leur parle d'Ámour, ou même pour éprouver cette passion, affecter cette Langueur, ces roulemens d'Yeux, ces soupirs, [et] cent autres folies qu'elles ont lûes; [et] ne s'appliquer uniquement qu'à tâcher de faire croire qu'elles sentent toutes les peines [et] les délicatesses de l'Amour. Dans de tels sentimens, elles sont disposées à se jetter, au mépris de l'Autorité Paternelle [et] de la Raison, à la tête du prémier Fat qui s'addressera à elles. Et comme l'Amour qu'une fille conçoit dans cette circonstance est purement imaginaire, elle s'apperçoit bientôt qu'elle n'aime pas la personne dont elle croioit être charmée, [et] fait un antre Choix. C'est là, la véritable Cause de l'Inconstance dont on accuse à tort les femmes; |408| Car, quand une fois elles aiment bien, rarement elles changent. Il n'y a qu'une suite continuelle de mepris [et] de mauvais traitemens de là part de l'Objet de leur tendresse qui puisse le leur rendre moins cher. La Spectatrice conseille donc à toute fille qui veut se marier, de bien éxaminer son Cœur, pour savoir si elle a une véritable tendresse pour son Amant. Et comme elle ne nait pas tout d'un coup, il ne faut pas se marier avant de se connoitre reciproquement, ni avant qu'on soit en état d'examiner son Cœur.
Toutes ces Réflexions sont justifiées par l'Exemple de Martesia, qui, à l'âge de quatorze Ans, écouta, contre la Volonté de son Pere, le prémier Homme qui s'addressa à elle, [et] se fit enlever. L'Amour, qu'elle prétendoit avoir pour lui, étoit purement chimérique; aussi ne dura t-il pas longtems. Elle n'eut pas plus-tôt vû le jeune Clitandre, qu'il lui parut plus aimable que son Mari. Dès lors, il n'eut pas de peine à s'en faire écouter; [et] elle oublia bien tôt avec lui tous les Principes d'honneur [et] de vertu qu'on lui avoit inspirés dès son enfance. Le degout, qu'elle marquoit pour la Maison de son Epoux [et] pour sa personne, étoit trop marqué pour ne pas l'appercevoir. Il lui en fit de tendres reproches, auxquels elle répondit de manière à lui saire soupçonner la cause de son indifférence. Quand il fut convaincu que ses soupçons n'étoient pas mal-fondés, il mit tout en |409| usage pour regagner l'Amitié de sa Femme; mais tous ses soins furent inutiles. Alors il résolut de vivre séparément avec elle, sans cependant faire d'éclat. Il s'étoit déjà écoulé quelque tems depuis qu'ils vivoient de cette maniere, lorsqu'elle devint grosse. Le soin de sa réputation lui fit chercher les moyens de la mettre à couvert; à quoi elle ne pût réüssir qu'imparfaitement. On se disoit son Aventure à l'oreille; ce qui, joint au Chagrin qu'elle eut de se voir abandonnée par Clitandre, lui fit prendre la résolution de quitter l’Angleterre pour toujours.
Ce n'est pas toujours la faute des filles, si elles font de mauvais Mariages. La trop grande Contrainte, dans laquelle leurs Parens les tiennent, leur fait saisir la prémière occasion de sécouër un joug qui leur est à charge. La Chaleur du Climat n'est pas toujours la Cause qu'en Espagne, en Italie, [et] en Turquie, les Femmes acceptent d'abord les prémières propositions d'un homme; mais la prison où on les tient fait que, quand elles jouissent d'un moment de Liberté, elles craignent de refuser une Chose que bies tôt après il ne sera plus en leur pouvour d'accorder. En effet, une fille récluse n'est point accoutumée aux tendres discours que les Hommes tiennent d'ordinaire aux Femmes. S'il lui arrive donc de s'entendre dire quelque chose d'obligeant, elle prend d'abord au Pied de la Lettre ce qui n'étoit qu'une Politesse; [et] s'expose, ou |410| à perdre son Honneur, ou à se rendre ridicule. C'est pour cette raison que, de toutes les Filles, les plus aisées à seduire sont celles qui ont été élevées à la Campagne, où elles n'ont vû d'autre Homme que leur Pere ou leur Curé. Cette contrainte où-on les retient fait qu'elles se jettent assèz soudent entre les bras d'un Laquais ou de quelque jeune Païsan.
Seomanthe, pour son Malheur, fut élevée par une Vieille Tante, qui ne lui permit de prendre aucun des innocens plaisirs de la jeunesse. Elle ne voyoit, pour toute Compagnie, que quelques Vieilles prudes, Amies de la Tante, qui déclamoient sans cesse contre les Amusemens des gens du Monde. Leurs Discours ne la persuadoient point; [et] elle ne voyoit jamais passer de jeunes gens de l'un [et] de l'autre sexe, un peu bien mis, qu'elle ne souhaitât d'être avec eux. Elle languissoit sur tout de faire Connoissance avec ceux d'entre les Hommes, dont la Figure [et] l’Ajustement lui piaisoient. Ses desirs furent enfin accomplis. Un de ces Hommes, qui n'ont pour tout bien que ce qu'ils ont sur leur Corps, [et] dont l'unique ressource est d'attraper quelque riche Heritiere, entreprit de se rendre Maitre de la personne [et] du bien de Seomanthe. Pour cet effet, il mit en jeu une de ces Entremetteuses, qui, sous prétexte de vendre de belles Nipes, vont de Maison en Maison, pour corrompre la vertu des Femmes [et] des Filles. Cette Créature rendit |411| une Lettre de cet Avanturier à Seomanthe, qui eut la foiblesse d’y faire réponse. Dimanche suivant, il se trouva près d'elle à l'Eglise, où sa Personne, [et] une nouvelle Lettre acheverent de la charmer. Il lui demandoit une entrevue chés la femme qui lui avoit rendu la prémière Lettre, ou ailleurs [et] elle jugeoit à propos; ou, tout au moins, une Réponse, qu'il attendroit le Lendemain matin sous ses Fenêtres. Ne pouvant pas lui accorder la prémière de ses demandes, il fallut se rabattre sur la derniere; [et] ce commerce ayant duré quelque-tems, par le Ministére de l'Entremetteuse, Seomanthese laissa persuader de sortir une Nuit de la Maison de sa Tante, pour se retirer chés le Gallant. Il n'en fut pas plutôt le Maitre, qu'il chercha à se mettre aussi en possession de son Bien. Un petit nombre de jours lui suffirent pour cela; au bout desquels il quitta l’Angleterre, laissant sa Femme dans le désespoir [et] la Misère. Sa Tante ne voulant pas la recevoir, elle fut obligé de se retirer chés des Parens dans la Dépendance desquels elle vit aujourd'hui.
Si la Contrainte, dans laquelle on retient les jeunes filles, est dangereuse, il ne l'est pas moins de leur accorder trop de Liberté. La mode s'est introduite de les laisser aller aux Mascarades en hyver, [et] aux Ridotis en été; ou elles sont exposées à se trouver avec toutes sortes de gens, [et] à entendre des Discours qui blessent souvent |412| la pudeur. Une telle Compagnie est bien propre à corrompre les mœurs d'une jeune personne, qui, n'ayant pas encore assés de jugement pour se conduire par les Principes de la Raison, se contente de suivre l'exemple des autres. Mais ils sont souvent dangereux dans ces endroits publics, ou la plus infame prostituée, dès qu'elle a un billet, peut entrer aussi bien, que la femme la plus vertueuse. Les Hommes, qui ont un peu de Connoissance du monde [et] de ce qui se passe dans de telles Assemblées, n'aiment pas que leurs femmes les frequentent.
La Spectatrice rapporte ici la maniere ingénieuse dont un Mari s'y prit pour dégouter sa femme des Mascarades. Elle étoit vertueuse [et] ne vouloit jamais y aller sans lui; mais elle pouvoit cesser de l'être, [et] l'Habitude, qu'elle prenoir de n'en manquer aucune, lui causoit de la dépense. Il ne vouloit paroitre ni jaloux ni Avare, [et] lui inspirer cependant du dégout pour ces Assemblées. Dans ce dessein, il pria un de ses Amis de faire un Habit de Masque parfaitement semblable à celui qu'il devoit mettre. Pendant qu'il dansoit avec sa femme, l'Ami prit adroitement sa place; [et], quand il fut tems de se retirer, elle suivit la Personne qu'elle prenoit pour son Mari: elle monta avec lui dans un Carosse, qui les conduisit à un Cabaret, où elle fut fort surprise de se trouver avec un Etranger, qui lui tenoit des Discours auxquels elle |413| n'étoit point accoutumée. Elle appelloit du monde, lorsque son Mari survint, qui lui représenta les mauvaises Conséquences qu'auroit eu cette Avanture, si elle lui étoit arrivée avec une autre Personne que celle de son Ami. Il ajouta, qu'il avoit remarqué tout ce petit Manege, [et] qu'il les avoit suivi, dans le Dessein de tirer Vangeance de l'Affront, qu'on lui faisoit; mais que, puisque son Ami ne l'avoit point connue, [et] qu'à son Attachement pour lui, il l'avoit prise pour tout autre que ce qu'elle étoit, il n'avoit aucun lieu de se plaindre de lui. Cet Artifice produisit son effet: [et] la femme, qui a ignoré que c'étoit un jeu, a renoncé pour toujours aux Mascarades.
Il ne faut pas s'imaginer, que la ressemblance des Habits n'ait réellement jamais rien occasionné de semblable dans ces Assemblées. La Spectatrice en rapporte deux Exemples bien funestes. L'un d'une Dame, qui, ayant reconnu son Mari dans une Mascarade, le crut amoureux d'une femme avec qui il s'entretenoit. La Jalousie, qu'elle en conçut, la fit résoudre à ne point le perdre de vue, [et] à le suivre quand il sortiroit. Malheureusement pour elle, il se trouva un Masque habillé de même: le prenant pour son Mari, elle le suivit dans la Maison où il entra. Quand elle eut reconnu son erreur, elle voulut se retirer; mais, les manieres engageantes de cet Homme, l'envie de lui demander des Nouvelles de son Mari, [et] sa Jalousie, la firent |414| rester; [et] l'Amour de la Vengeance la perdit. Son Mari fut instruit de toût dès le Lendemain. Le Ton, sur lequel il lui en parla, la fit rétirer chés ses Parens; qui, dès lors, se brouillérent pour toujours avec lui. Il fallut ensuite se battre contre le Gallant de sa femme; [et] tous deux furent dangereusement blessés. Enfin, après être guéri de ses blessures, le Gallant alla en France, où sa Maitresse le suivit bien-tôt après.
L'autre Exemple est celui d'un Frere [et] d'une Sœur, qui se trouvoient dans cette Assemblée pour la premiere fois. Celle-ci, prenant une autre Personne pour son frere, le pria de vouloir la teminener au Logis. Sans lui répondre, il s'avance avec elle du côté de la porte, la fait monter en Carosse, [et] la conduit chés lui; ou, après en avoir criminellement abusé, il la renvoye, en prenant des précautions pour que sa Maison ne fut point reconnue. Cette jeune Demoiselle, qui devoit se marier avec un Gentil-homme de sa Province, conçut tant de honte du malheur qui lui étoit arrivé, qu'elle ne voulut plus le voir, [et] est allée passer ses jours dans la retraite.
Vaux-Hall n'est pas tout à fait si dangereux que lé Bal masqué; mais, il ne laisse pas de l'être beaucoup. La Musique, les délicieux Bosquets, les Endroits écartés, [et] la facilité qu'un Amant a d'entretenir sa Maitresse, sont de dangereux ennemis de l’Honneur. Un certain Homme, dont la Connoissance n'est pas fort honorable |415| pour les jeunes Dames, s'est vanté plusieurs fois, que; Vaux-Hallétoit le Temple de Flora, dont, depuis long-tems, il avoit été établi Grand-Prêtre. Il est assez à craindre, que la Chose ne soit que trop vraye.
L'on trouve, à la suite de ces Réflexions, une petite Historiette, dans la quelle ce Prétendu Grand-Prétre joue un assez vilain Rolle. Il avoit cherché à séduire une jeune Fille, pour la faire servir aux plaisirs d'un Seigneur. Déjà la Mere étoit gagnée, [et] elle promettoit de rendre bon compte de sa fille: déjà il en avoit fait fête à ce Seigneur, au nom du quel il agissoit, lorsque la jeune Fille, préférant son honneur à tout autre chose, quitta la Maison de sa Mere, [et] se retira chez un Curé pour en être protégée. Celui-ci, ne voyant guéres de jour à pouvoir la garder chez lui contre la Volonté de sa Mere, lui proposa de l'épouser; ce qu'elle accepta avec joye.
Telle est, en gros, la Nature de l'Ouvrage que nous annonçons. Il n'est pas aisé d'en donner une Idée bien juste dans un Extrait. Il faudroit pouvoir en représenter la beauté du stile, la vivacité des pensées, la justesse des raisonnemens, [et] la finesse des réfléxions: mais, pour cela, il seroit nécessaire de s'arréter presque sur tout; [et] ce ne seroit plus un Extrait, mais une Traduction. Il faut espérer, que quelqu'un en donnera bien-tôt une, qui mettra le Public en état de juger du mérite de |416| la Spectatrice*. Son Ouvrage semble devenir de jour en jour plus parfaits [et] l'on s'apperçoit, que, bien loin de tomber , comme la plûpart des Ecrivains périodiques, les dernieres parties ont quelque supériorité sur les précédentes.
*Cet Ouvrage s’imprime à la Haye, chez P. De Hondt.